Chant d'automne
Chant d'automne : Image générée par DALL-E le 13/10/2024 - prompt Racine Montignac
Chant d'automne
Charles Baudelaire
I
Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !
J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres
Le bois retentissant sur le pavé des cours.
Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,
Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,
Et, comme le soleil dans son enfer polaire,
Mon coeur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.
J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;
L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.
Mon esprit est pareil à la tour qui succombe
Sous les coups du bélier infatigable et lourd.
Il me semble, bercé par ce choc monotone,
Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.
Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne !
Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.
II
J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,
Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,
Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.
Et pourtant aimez-moi, tendre coeur ! soyez mère,
Même pour un ingrat, même pour un méchant ;
Amante ou soeur, soyez la douceur éphémère
D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.
Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !
Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,
Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,
De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !
Charles Baudelaire,
Chant d'automne
Les fleurs du mal
Charles Baudelaire (1821-1867) est un poète, critique d'art et essayiste français, considéré comme l'une des figures majeures de la littérature du XIXe siècle. Né à Paris, il est élevé par sa mère et son beau-père après la mort de son père alors qu'il n'a que six ans. Rebelle et anticonformiste, Baudelaire mène une vie marquée par les excès et les difficultés financières, mais aussi par une intense activité intellectuelle.
Il est surtout célèbre pour son recueil de poèmes Les Fleurs du mal, publié en 1857, qui lui vaudra un procès pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. Ce recueil, qui explore des thèmes comme la beauté, la mélancolie, la décadence et l'angoisse existentielle, est aujourd'hui considéré comme une œuvre fondatrice de la modernité poétique.
En plus de sa poésie, Baudelaire a également écrit des essais sur l'art et la littérature, et il a été l'un des premiers à reconnaître le génie de peintres comme Eugène Delacroix et de poètes comme Edgar Allan Poe, qu'il a traduit en français. Ses écrits ont eu une influence profonde sur les mouvements littéraires et artistiques qui ont suivi, notamment le symbolisme et le modernisme.
Baudelaire meurt en 1867 à l'âge de 46 ans, après avoir souffert de nombreux problèmes de santé. Malgré une vie courte et troublée, son œuvre continue d'inspirer des générations de lecteurs et d'artistes.